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Vendredi 13 mars, suite à la déclaration de Macron, le ministre de l’Education Nationale Jean-Michel Blanquer a annoncé qu’il y aurait la mise en place d’«une continuité pédagogique » afin de  pallier la fermeture des établissements scolaires. Toute la journée, il s’est déplacé dans les médias pour rassurer les parents en disant que tout était prévu, que bien évidemment les élèves ne seraient pas en vacances (par là même les enseignants) et que le mot clé était « travail ». 

Qu’est ce que la continuité pédagogique? A priori c’est assez simple pour le ministre, il s’agit de permettre aux élèves de continuer à apprendre, de poursuivre leur scolarité sans rupture. L’expression est par ailleurs fort mal choisie puisqu’elle  sous entend que « «faire cours » signifierait la même chose que « faire classe ». Or faire classe implique une interaction entre l’enseignant et les élèves, les élèves entre eux, toute une alchimie qui ne peut pas exister à distance.

Toujours est-il que les cours reprendront ou plutôt continueront dès le lundi 16 mars sans que les équipes pédagogiques aient eu le temps d’élaborer collectivement une poursuite scolaire ou même de se concerter. Face à cette situation extraordinaire il n’y a pas eu de temps donné à la réflexion. On peut d’ailleurs s’interroger sur cette précipitation à vouloir mettre en place cette continuité. De quoi à peur le ministre? Qu’il y ait quelques jours de vacances, que les élèves ou plus encore les enseignants puissent imaginer un bref instant qu’ils vont pouvoir faire autre chose que travailler? Il se montre moins préoccupé de cette « continuité pédagogique » lorsque des élèves se retrouvent plusieurs jours voire semaines sans professeurs faute de remplaçants. 

Pour que cela fonctionne les parents ou les élèves vont devoir se connecter aux différentes plateformes numériques proposées par le gouvernement telles que celle du CNED (Centre national d’enseignement à distance) « Ma classe à la maison », le lycée connecté, pronote ou l’ENT(Environnement Numérique de Travail) grâce à un identifiant envoyé par mail. 

Dès la mise en place de ce système tout le monde se rend vite compte que les serveurs utilisés ne sont pas fait pour recevoir autant de connections simultanées. Les enseignants vont devoir chercher et trouver des solutions avec leur propre matériel espérant que leur ordinateur, s’ils en ont un, ne soit pas trop obsolète pour se connecter, concevoir des sites, lire ou envoyer des vidéos; il en est de même pour le suivi individuel des élèves via des appels téléphoniques qui seront passés depuis leur téléphone  personnel. 

D’un côté il y a les injonctions du ministère à mettre en place les choses, de l’autre il y a le personnel qui fait ce qu’il peut pour que cela soit possible.

Pour accompagner ce dispositif il y a sur le site Eduscol une fiche conseil pour les élèves, des recommandations. Tout semble si simple, il suffit de se connecter aux différents sites référencés, de regarder des émissions éducatives proposées par France télévision, notamment France 4 (dont la direction voulait se séparer en août 2020), pour que l’élève reste en forme il ne doit pas se coucher trop tard. Il peut aussi se cultiver en allant sur des sites de musées nationaux (Orsay, Louvre), en regardant des pièces de théâtre, en lisant ou relisant des livres ou pour se changer les idées il peut aller sur le site d’Arte ou de France Culture. 

L’Education Nationale est vraiment déconnectée des élèves que le ministre dit « ne pas vouloir laisser sur le bord du chemin » en réalité depuis des années combien d’élèves sont déjà laissés sur le bord du chemin…

Ce qui est navrant c’est qu’il a fallu plusieurs jours avant que Blanquer s’interroge sur les possibilités de cette mise en œuvre par les familles. Possèdent-elles un ordinateur, ont-elles accès à internet? 

A qui s’adresse la continuité pédagogique telle qu’elle est proposée par le ministre? Pas aux 3000 enfants qui dorment dans la rue chaque soir en France, pas aux 3 millions d’enfants qui vivent sous le seuil de pauvreté, pas non plus aux familles mal logées ou qui vivent dans des espaces trop petits dans lesquels les élèves n’ont pas de lieux au calme pour travailler, pas aux élèves qui vivent dans des familles maltraitantes, pas aux familles monoparentales qui doivent laisser leurs enfants seuls à la maison pour aller travailler…Rien n’est dit non plus sur les élèves scolarisés dans des IME (institut médicaux éducatifs), les élèves ayant un handicap et qui ont besoin d’un suivi spécialisé, d’une AVS (assistant de vie scolaire)…

Alors quand Blanquer dit que: « La priorité est de tout faire pour qu’aucun élève ne soit laissé sur le bord du chemin, c’est une exigence de justice sociale, c’est au coeur des valeurs de notre école ». (site du ministère Education) Nous ne pouvons que lui répondre: menteur! Il a contribué à la casse de l’école. Avant d’être ministre de l’Education Nationale du gouvernement Macron, il était, sous le mandat Sarkozy, directeur de la DGESCO (Direction générale de l’enseignement scolaire) de 2009 à 2012 auprès du ministre de l’Education Luc Chatel et a supprimé 80.000 postes pendant ce quinquennat, il a contribué à la casse des RASED (réseau d’aides spécialisées aux enfants en difficulté), il a fait disparaitre les fonds sociaux destinés aux lycéens pauvres. Rien qu’en 2019 c’est 2600 postes qui ont été supprimés dans les collèges et les lycées. L’école de Blanquer est une école élitiste, individualiste, inégalitaire basée sur la compétition à l’image de notre société.

Et puis il y a l’allocution de Macron annonçant le déconfinement progressif à partir  du 11 mai avec la réouverture des écoles, collèges et lycées. La raison principale invoquée est le risque de décrochage scolaire pour les élèves les plus fragiles. Si le MEDEF, par la voix de son chef, n’avait pas déclaré quelques jours avant l’urgence à reprendre le travail face à la crise économique, on aurait presque envie de croire Macron lorsqu’il dit « C’est pour moi une priorité car la situation actuelle creuse des inégalités. Trop d’enfants, notamment dans les quartiers populaires et dans nos campagnes, sont privés d’école sans avoir accès au numérique et ne peuvent être aidés de la même manière par les parents. Dans cette période, les inégalités de logement, les inégalités entre familles sont encore plus marquées. C’est pourquoi nos enfants doivent pouvoir retrouver le chemin des classes» lui, si préoccupé de justice sociale.

Le gouvernement fait semblant de découvrir que les élèves ne sont pas tous logés à la même enseigne. Pourtant pendant plus d’une année toute une frange de la population a essayé de l’interpeller, de se faire entendre en manifestant tous les samedis pour demander plus de justice sociale, pour que les plus précaires puissent vivre dignement pour qu’il y ai plus de démocratie, ce à quoi il à répondu en envoyant sa force répressive d’Etat qui a matraqué, gazé, mutilé.

Oui en France il y a une fracture qui n’est pas seulement numérique, il y a une fracture sociale de plus en plus grandissante entre les riches et les pauvres causée par toutes les politiques néolibérales des gouvernements successifs. Des économies ont été réalisées dans la santé, malheureusement nous payons aujourd’hui les conséquences de ces politiques mais aussi dans l’éducation. 

Pour que les « élèves ne soient pas laissés sur le bord du chemin », c’est toute la société qu’il faut repenser. Nous ne pourrons pas avoir une école égalitaire et solidaire dans une société qui ne pense qu’à faire du profit sur le dos des plus précaires. L’éducation comme la santé ne sont pas des marchandises.

Béatrice Walylo

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