C’est le leitmotiv de Nathalie Delattre, sénatrice et conseillère municipale de droite à Bordeaux : « qu’allez-vous faire face à la crise du vin ? ». Outre qu’il est toujours surprenant d’entendre les apôtres du libéralisme, de la « concurrence libre et non faussée », exiger des collectivités publiques (celles qui « coûtent » toujours trop cher au contribuable) des aides et des subsides, quelques précisions s’imposent :
– Aucune catastrophe naturelle ne s’est abattue sur le vignoble bordelais, catastrophe qui expliquerait la déroute actuelle et justifierait un acte de solidarité nationale. Certes la pandémie a retardé les ventes habituellement réalisées dans les salons au printemps et dans la restauration, ce qui soulève des problème de trésorerie pour certains. Mais la crise était déjà là, elle ne date pas d’aujourd’hui, ni même d’hier, ni même des aléas diplomatiques avec Trump ou la Chine.
– C’est une crise structurelle dont les premiers responsables sont les dirigeants du CIVB et des OdG qui s’entêtent dans un modèle économique catastrophique, malgré tous les signaux au rouge depuis des années.
– C’est une crise dont les premières victimes ne sont pas les dirigeants des gros châteaux ou des holdings qui les possèdent, mais les petits viticulteurs qui n’ont aucune marge de trésorerie, qui ne peuvent même plus vendre leur propriété pour partir en retraite puisque les parcelles se vendent de plus en plus mal (en dehors des grands crus).
– Pour les gros tout va bien. Le dernier classement de Challenges 2020 nous apprend que la plupart des 40 plus grosses fortunes de la région appartiennent au monde de la viticulture : Pierre Castel, les Rothschild, les Moueix, les Cazes…
– Depuis plusieurs années, le vignoble girondin produit plus qu’il ne vend et les cuves ne sont pas extensibles. Sur les 5 millions d’hectolitres (hL) qui ont été produits en 2019, les spécialistes estiment que le volume des ventes sera d’environ 4 millions (voir cette enquête de France 3) ! Nul besoin d’être un grand expert en économie pour comprendre que, répétée sur plusieurs années, cette affaire va dans le mur.
Pourquoi le vin de Bordeaux se vend-il si mal ?
Le modèle agricole choisi est celui d’une course au rendement, au volume de vin produit, au détriment de la qualité et de l’environnement : chimie à outrance pour surtout ne pas prendre le moindre risque de perte de récolte. Résultat : l’air de la Gironde est saturé de pesticides pendant 6 mois de l’année, de nombreux agriculteurs, leur famille et leurs voisins sont malades (Parkinson, cancers de la prostate, lymphomes…). Les sols étant maltraités sont de moins en moins productifs, et les vins sont pollués par des résidus de pesticides.
Dans le même temps, l’agriculture bio représente 12 % de la surface viticole en Gironde et un millier de viticulteurs qui, globalement, voient leurs efforts reconnus. Ils ont de moins gros rendements à l’hectare, mais vendent plus cher tout en préservant leur santé. Les ventes dans la filière ont progressé de 20 % entre 2018 et 2019. Le prix du tonneau de vin rouge AOC Bordeaux en bio est le triple de celui du vin conventionnel. Certes, ils sont davantage soumis aux aléas des maladies mais ils ont fait la preuve que leur modèle économique est valable y compris en Gironde. C’est même le seul généralisable.
Il faut ajouter à cela les affaires qui secouent la profession et plus particulièrement les dirigeants de celle-ci : affaire Grandeau, affaire Médeville, affaire Castéja autant de condamnations pour fraudes ou falsifications du vin qui ont motivé la Confédération paysanne à se porter partie civile. En effet, ces procès entament l’image des vins de Bordeaux et touchent donc par ricochet toute l’inter-profession. D’autant que systématiquement, les condamnés reçoivent le soutien des institutions bordelaises. La Confédération paysanne écrit dans un communiqué : ” Les institutions viticoles bordelaises s’apparentent de plus en plus à un regroupement d’irresponsables professionnels agissant en bande organisée. Quelle légitimité leur reste-t-il pour proposer et mettre en œuvre des mesures de redressement qui risquent d’être exigeantes? ». et de conclure «le lien de confiance indispensable entre les vignerons et les amateurs de vin doit absolument être rétabli » et d’en appeler à des Etats Généraux de la viticulture de Bordeaux » pour « mettre fin à un système moribond ».
Changer de gouvernance
Il n’y aura donc pas de réponse à la crise des vins de Bordeaux sans remettre à plat la gouvernance et les orientations à prendre.
→ A court terme, la solution n’est donc pas d’acheter des cuves supplémentaires comme le réclame l’AEVV (l’Association des élus de la vigne et du vin AEVV dont la vice-présidente est… Nathalie Delattre) qui a même eu le culot de demander des subventions covid pour ça, tout en demandant le droit de planter des vignes supplémentaires ! Face à la surproduction actuelle, B. Farges, président du CIVB, demande des aides à la distillation des surplus ce qui est un non sens car ces surplus ne sont pas occasionnels, ils sont structurels.
Il faut d’urgence arracher des vignes car il y en a trop. Certains viticulteurs conscients du problème arrachent aujourd’hui d’eux mêmes, sans attendre les éventuelles primes. Arracher là où le terroir n’est pas bon et arracher près des écoles en priorité comme le propose Reynaud, le vice-président de la région. Ce n’est pas une mauvaise idée à condition que les terres restent agricoles et ne puissent pas servir à la spéculation immobilière. La Métropole pourrait suggérer qu’elles soient systématiquement offertes à des maraîchers bio pour stimuler l’agriculture de proximité qui a tant fait défaut pendant le confinement.
→ Il faut remettre à plat la gouvernance qui est captée par les organismes de gestion tous pilotés par la FDSEA . Tous les efforts de ces gens là sont aujourd’hui concentrés sur la communication (le CIVB a un budget qui se situe entre 20 et 30 millions/an) et ils tentent régulièrement :
-de dénigrer la bio, qui pollue « à cause du cuivre » (la bouillie bordelaise) alors que l’usage de ce produit a 150 ans et qu’il est limité et contrôlé à 4 kg/ha dans le bio (et non limité-contrôlé dans le conventionnel.
– de lancer la rumeur comme quoi « le bio, on en revient ». Le dernier à avoir prêté main forte à cette fake-news est Basile Tesseron (St Estèphe), qui a fait croire qu’il arrêtait le bio après s’être converti. Il n’a jamais été inscrit en bio et il est aujourd’hui poursuivi pour ces mensonges par laes syndicats du bio.
– de verdir leur packaging en proposant des labels mensongers comme HVE (Haute valeur environnementale) qui créent de la confusion. Les viticulteurs qui payent leur adhésion à ce label ne s’engagent pas du tout à arrêter les pesticides, même pas les plus dangereux/cancérigènes.
– de remettre en cause les règlementations européennes concernant le label AB qui exige que l’ensemble de la propriété soit converti en bio au nom de l’audace (rien que ça) « Osons la mixité bio et conventionnel » lance B. Farges. Les vignerons bio lui ont répondu ici. https://www.vitisphere.com/actualite-92199-Les-vignerons-bio-bordelais-ne-veulent-pas-de-mixite-avec-les-conventionnels.htm
Pour une solution pérenne
La seule solution est d’accompagner une transition massive vers le bio (rôle de la Région mais le CIVB qui collecte l’argent des viticulteurs bio pourrait s’occuper plus activement de cette filière) car cette transition n’est pas facile pour les petits viticulteurs. Il faut une grosse avance de trésorerie avant de pouvoir commencer à vendre son vin plus cher. Les bios embauchent davantage de personnel à surface égale, et du personnel stable. Ils ont beaucoup moins recours aux prestataires de service, les esclavagistes actuels qui sévissent dans le département pour fournir de la main d’œuvre à bas prix dans des conditions lamentables.
Pour comprendre les résistances des organismes de gestion, il faut savoir qu’ils prélèvent sur les viticulteurs une CVO (une contribution volontaire obligatoire !) :
- Pour le CIVB elle est proportionnelle au volume produit par le viticulteur. On comprend la motivation de B. Farges, son président, à ce que ce volume soit le plus gros possible, quitte à distiller ensuite.
- Pour les Syndicats elle est proportionnelle à la surface cultivée. On comprend le refus d’une campagne d’arrachage.
Un certain nombre de dirigeants de caves ont aussi des intérêts dans la vente des pesticides car ils sont distributeurs.
La première mesure à prendre pour sauver la filière vins de Bordeaux est donc de sortir du déni. D’autant que certains gros négociants (comme Baron de Rotschild) ont compris l’urgence et exigent maintenant des producteurs dont ils achètent le vin qu’ils n’utilisent plus de produits CMR (cancérigènes, mutagènes, reprotoxiques).
Si les collectivités locales peuvent aider à trouver des solutions, ce ne peut être que des solutions pérennes : qui ne tuent pas l’emploi, ni les sols, si les êtres humains, et qui permettent une production de qualité répondant aux attentes des consommateurs.
En revanche, les collectivités qui ont investi de différentes façons depuis des années dans la filière, sont en droit d’attendre des résultats, notamment en matière de santé. En 2016 Bernard Farges signait en grande pompe une charte avec la Région N.A. dans laquelle il promettait une réduction de 25 % des pesticides utilisés. Or les achats ont augmenté de 25 % en quatre ans sur le département !
Il n’est pas normal que le Conseil départemental renonce à construire des collèges là où il y en a besoin parce que des propriétés viticoles jouxtent les terrains et refusent d’abandonner l’usage des pesticides ! Il est scandaleux que les habitants de Bordeaux respirent pendant 6 mois au moins de l’année des pesticides à haute dose comme le montre les résultats des enquêtes ATMO-Nouvelle Aquitaine (voir ici la dernière étude réalisée) alors que nous sommes à dix kilomètres à vol d’oiseau des premières vignes. Une trentaine de molécules ont été encore détectées par le capteur d’ATMO dont certaines cancérigènes (Folpel, Cymoxanil) et certaines interdites car trop dangereuses mais qui persistent dans les sols et dans l’air.
Le maire de Langouët, Daniel Cueff, qui a pris ce courageux arrêté le 18 mai 2019 interdisant les pesticides sur sa commune, se réclame d’une « écologie de l’action et pas de l’incantation ». Bordeaux en Luttes pèsera pour que des décisions effectives soient prises au niveau municipal, qu’un arrêté anti-pesticides soit décrété par le maire de Bordeaux et pour stimuler des mesures de réorientation de la politique agricole autour de la ville. Il y a urgence.
Sylvie Nony le 8 août 2020.
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