Tout d’abord il faut préciser de quoi nous parlons : la
criminalité ne désigne pas uniquement le nombre de crimes (par comparaison aux
délits ou aux infractions) mais l’ensemble des infractions à la loi. Il faut
également noter qu’à aucun moment, des comparatifs avec les années précédentes
permettant d’attester de l’augmentation statistique de la criminalité n’ont été
présentés par la presse ou les politiciens s’exprimant sur le sujet. Pour notre
part, nous n’avons pas trouvé de données permettant de l’attester.
Néanmoins, notre but n’est pas de botter en touche sur cette question si
chère à la droite et aux autres partisans de « l’ordre républicain » ; nous
allons donc vous présenter notre analyse de la situation.
Ce que l’on sait.
La presse locale (et même nationale) ont relaté une série d’agressions à l’arme blanche à Bordeaux, ayant lieu en soirée ou dans la nuit. Les articles relatant les faits évoquent quasi-systématiquement des « règlements de compte » entre personnes qui se connaissent, souvent en lien avec du trafic de drogue. On sait que le sentiment d’insécurité ressentie par les habitants d’une ville n’est pas lié au nombre d’agressions ayant lieu dans la ville mais à la représentation que les gens s’en font (1). Autrement dit, la médiatisation de l’information sur l’insécurité va elle-même modifier le niveau d’insécurité ressentie par la population d’une ville. Il est donc important de prendre ces informations avec des pincettes afin de ne pas tomber dans une psychose où l’on imaginerait se faire poignarder dès que l’on met un pied dehors alors que nous vivons déjà une période pleine d’incertitudes et de danger réels comme :
– une augmentation massive du chômage,
– un appauvrissement d’une grande partie de la population,
– une répression policière ultra violente qui était jusqu’ici « réservée » aux habitant-e-s des quartiers populaires et aux personnes racisées et qui est aujourd’hui presque généralisée (notamment pendant les manifestations),
– une crise économique mondiale comparable à celle des années 1930,
– une crise climatique mondiale dont les effets se ressentent plus durement chaque année,
– une pandémie mondiale et le confinement.
La réponse de la
mairie
La nouvelle majorité municipale propose de régler le problème de l’insécurité avec des Groupes Locaux de Traitement de la Délinquance, comme l’envisage également le sarkozyste Christian Estrosi dans sa ville de Nice. Ces GLTD sont composés de « plusieurs administrations publiques, du procureur de la République, de la préfecture, du représentant de la police, d’un représentant de la mairie, des bailleurs sociaux et des associations locales » (Hurmic). L’objectif de ces groupes est de « parvenir à une meilleure visibilité et une meilleure coordination de l’action des services de justice et de police sur le terrain » (-Ministère de la Justice). Ces groupes ne visent donc pas à prévenir la délinquance en éradiquant ses causes mais à « traiter » la délinquance comme ont traite un parasite, en chassant du centre ville les individus qui commettent publiquement des actes illégaux (d’où la présence des bailleurs sociaux dans les GTLD).
Le nouveau Maire a d’ailleurs promis « beaucoup de pragmatisme » sur l’insécurité ce qui peut être interprété comme une déclaration au peuple de droite dont la traduction serait « rassurez-vous, nous n’allons pas nous embarrasser des connaissances sociologiques et psychologiques permettant d’intervenir sur les causes de la criminalité mais nous allons punir fermement, comme le font habituellement les partis au pouvoir».
La criminalité ne peut pas être considérée comme un problème créé par des individus qui seraient inadaptés ou récalcitrants et qu’il s’agirait de dresser. Bien au contraire la criminalité est directement liée à l’organisation de la société puisqu’elle augmente en fonction du niveau d’inégalité et d’accès aux ressources, mais aussi de l’urbanisation rapide et de l’entretien de l’espace public. (2)(3)
La question de la drogue :
La fermeture des frontières et l’interdiction de circuler librement en ville a rendu la situation extrêmement tendue pour de nombreuses personnes qui consomment ou vendent de la drogue (généralement importée). Plusieurs témoignages de personnes vivant à la rue ou travaillant auprès de populations extrêmement précaires (qui ont d’autant plus subi le confinement) nous ont fait état d’une augmentation de la consommation de drogues dures de synthèse (qui ne nécessitent pas d’importer des plantes venant de l’autre bout du monde et ont donc pu être produites « localement » afin de répondre à la demande de psychotropes) pendant et depuis le confinement. Sachant qu’un climat anxiogène est favorable à l’augmentation de la consommation de drogue, on peut voir un lien entre le confinement et le fait que la majorité des affaires d’agressions qui paraissent dans la presse soient en lien avec du trafic de drogue (qui a pourtant toujours existé à Bordeaux, comme dans toute les grandes villes).
La politique de répression de la Mairie à l’encontre des usagers et des petits vendeurs de drogue à la sauvette nous apparaît comme une surenchère répressive à un problème d’ordre social et sanitaire. Le gouvernement est d’ailleurs sur la même longueur d’ondes : il a récemment mis en place une amende de 200 euros pour détention ou consommation de cannabis. Cette mesure vise plus à désengorger les tribunaux et à renflouer les caisses de l’Etat qu’à lutter contre le trafic et les violences qui l’entourent, car 200 euros ne représentent rien pour un gros dealer. La violence est engendrée par le trafic et le trafic est lui même une conséquence de l’interdiction du cannabis (et de la drogue en général), nous pensons donc qu’il faut légaliser afin de démanteler les réseaux mafieux et de faciliter la mise en place d’une politique de prévention et d’accompagnement (comme avec le tabac et l’alcool). La légalisation ne suffira pas à régler les problèmes autours de la drogue, mais elle est une condition indispensable pour supprimer la violence entourant toutes les activités illégales et rentables.
Contre une approche légaliste de l’insécurité :
Jusqu’ici nous avons parlé de l’insécurité en reprenant les faits habituellement présentés dans les grands médias: des actes d’agressions physiques entre individus ou petits groupes d’individus. Mais l’insécurité ce n’est pas que ça, c’est le fait d’être en danger en général, donc si l’on veut vraiment parler de l’insécurité à Bordeaux il faut avant tout parler de l’insécurité sociale: de ces milliers de personnes privées de logement salubre (ou de logement tout court) et qui galèrent même à trouver des points d’eau et de quoi manger; il faut parler de la culture du viol omniprésente dans notre société qui apprend aux petits garçons à dominer l’Autre et à réduire les femmes à des objets sexuels, cette même culture qui apprend aux femmes à se taire, à avoir peur et à ne pas trop faire de vagues; il faut parler de ces centaines d’individus armés et vêtus de bleu qui sèment régulièrement la terreur dans notre ville en agressant, éborgnant et mutilant les habitant-e-s à coup de matraques, de flashball, de gaz et d’explosifs; il faut parler du racisme systémique qui veut que la vie des noirs, des arabes, des roms et des personnes assimilées compte moins qu’une vie de blanc; il faut parler de l’hétéronormativité qui enseigne à tout le monde que les personnes LGBTQI + ne devraient pas exister car « ce n’est pas naturel » (légitimant au passage les agressions); il faut parler du chômage et des emplois précaires qui font peser sur la tête de chaque travailleu-r-se le risque de tomber dans la misère; et il faut enfin parler de notre système de santé qui -malgré la Sécu et la CMU, ne garantit pas à tout le monde le droit d’être soigné convenablement.
La première de toutes les violences, c’est la violence sociale que représentent la misère et le mépris.
C’est le fait de considérer qu’il est normal que des gens n’aient pas les moyens de vivre dignement, que des gens aient moins de droits que d’autres, et au final, qu’ils aient moins le droit d’exister que d’autres.
Nous sommes convaincus que seule une société démocratique, égalitaire, libérée du racisme, du patriarcat et du capitalisme permettra de poser les bases d’un monde dans lequel chacun-e se sentira suffisamment en sécurité pour s’épanouir librement.
« La violence est partout, vous nous l’avez apprise patrons qui exploitez et flics qui matraquez »
– A bas l’Etat policier, Dominique Grange (1968)
(1) « Représentations sociales de l’insécurité en milieu urbain ». (2006) -A. Garoscio
(2) « Un monde d’homicides ». (2011) -Marc Ouimet
(3) « 5e Rapport international « REVENTION DE LA CRIMINALITE ET SECURITE QUOTIDIENNE : les villes et le Nouvel agenda urbain ». -Centre internationale de prévention de la criminalité.
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